Prélude au mouvement coopératif (ère pré-coopérative)

En milieu acadien, la coopération sous différentes formes est bien antérieure aux années 1930, années marquant les débuts d’un vaste mouvement coopératif en Atlantique, communément appelé « Mouvement d’Antigonish ». Préalablement à l’arrivée des institutions coopératives modernes en Acadie, la solidarité était déjà omniprésente. L’entraide entre les gens d’un même village par le biais des corvées n’était guère étrangère aux acadiens et acadiennes du début du 20e siècle. À cette époque, plusieurs villages mettaient sur pied des organisations d’entraide coopérative dans le domaine de la pêche et de l’agriculture. À titre d’exemple, des regroupements coopératifs pour la vente de volaille, des œufs, des moutons, de la laine, du lait et des animaux vivants furent expérimentés bien avant la Première Guerre mondiale dans les Maritimes.

Dans le domaine agricole, suivant les travaux d’une Commission royale d’enquête concernant les problèmes de la vente de la laine (1911), une formule de mise en marché collective des produits de la ferme sera développée avec l’aide du ministère provincial de l’Agriculture. À cet égard, la vente d’œufs en milieu urbain est facilitée par la création de « cercles d’œufs ». Il s’agit plus précisément de groupes coopératifs qui mettent en commun leur production d’œufs pour l’expédier à Saint-Jean à la New Brunswick Poultry Exchange, qui devient en 1927 la Maritime Co-operative Egg and Poultry Exchange. Depuis la fondation du premier cercle d’œufs à Saint-Louis-de-Kent en 1914 et la création du Syndicat avicole du Nouveau-Brunswick en 1925, les régions francophones de la province ont été témoins d’une impressionnante prolifération de ces regroupements coopératifs, comme en témoigne le tableau ci-dessous. 

Dans un autre ordre d’idées, à compter de 1923, les insulaires de Lamèque reçoivent de fréquentes visites de la part de conférenciers agricoles. Il y a Edmond Pineau, du ministère fédéral de l’Agriculture, dont la tâche principale est de promouvoir l’élevage du mouton. Il organise, en 1924, un cercle coopératif pour la vente d’animaux vivants. Grâce à ce cercle, des profits considérables peuvent être réalisés par les agriculteurs de la région.

Reprenant ce modèle, des producteurs appliquent ce principe à Rogersville en 1925 pour la vente d’agneaux. Ces activités, en dépit du fait qu’elles ne sont pas le fruit d’un programme concerté ou d’un projet social spécifique, représentent les efforts d’individus animés par le désir d’aider leurs semblables. Ces associations se distinguent par le désir des fondateurs de mettre en commun des ressources pour écouler différents types de production à bon compte sur les marchés urbains en pleine croissance et pour obtenir, par l’entremise de l’achat en groupe, de meilleurs prix pour les marchandises dont ils ont besoin.

Par ailleurs, le 3 février 1926, J. E. McIntyre, agronome sous l’égide du ministère provincial de l’Agriculture, se rend à Petite-Lamèque afin d’y former le premier cercle d’œufs de l’île qui sera composé d’environ trente membres.

L’indéniable réussite des organismes coopératifs dans l’agriculture et l’élevage n’ont pas un gros impact dans le développement de l’idée coopérative chez les habitants de l’île Lamèque, puisque les domaines concernés ne constituent qu’une infime portion de leurs activités économiques. Les terres de l’île ne sont pas propices à une culture et un élevage intensifs. D’ailleurs, les petits cultivateurs doivent importer le foin en grande quantité, étant donné que le sol n’est pas apte à en produire suffisamment. Compte tenu du fait que la pêche a toujours été la principale activité économique de l’île, les résidents ont su tirer avantage des ressources halieutiques et ainsi donner naissance à une nouvelle forme de coopération. À partir de 1931, les pêcheurs de l’île Lamèque remarquent qu’il s’avère profitable de se regrouper pour augmenter le volume de poisson à exporter aux États-Unis, plus particulièrement à Philadelphie et à Boston.