Mise en contexte

Les côtes atlantiques étant riche en ressources halieutiques, les Acadiens logés le long de celles-ci se sont naturellement tournés vers la mer comme moyen de subsistance. Durant le 19e siècle, les régions côtières de l’atlantique,  comme celles de la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, fut le théâtre d’un  marché très florissant de la morue séchée, qui était exportée vers les marchés méditerranéens et antillais.

La pêche côtière : activité refuge

À cette époque, des chargements de morue partaient régulièrement de Caraquet et de Shippagan pour l’Europe. Outre cette espèce, le pêcheur côtier s’adonnait à différentes pêches au cours d’une année. À la suite de la fonte des glaces, au printemps, il débutait sa saison avec la pêche au homard suivie de celle du hareng ou du maquereau. En 1849, Léon Robichaud de Shippagan avait pris dans sa saison 24 000 morues à 25 à 40 brasses d’eau, 30 quarts de petit hareng du printemps, 12 gros flétans, 4 quarts de maquereau et même quelques saumons sur sa ligne à morue[1]. Bien que des communautés telles que Tracadie et Inkerman ne figurent pas à l’avant-plan de l’industrie de la morue, elles deviennent un peu plus tard grandement actives dans l’industrie du maquereau en devançant Caraquet dans l’exportation de cette espèce, tant en conserve qu’en barils.


Les embarcations côtières : chaloupe, doris, bateau à fond plat


En réalité, il existe plusieurs types d’embarcations côtières. On parle de chaloupe, de doris, de bateau à fond plat ou de botte. Les chaloupes peuvent mesurer aussi peu que 10 à 12 pieds et les doris, de 13 à 14 pieds. Les doris sont, semble-t-il, plus solides et possèdent une plus longue durée de vie que les chaloupes. Au printemps, ils peuvent servir à la pêche au hareng et à aller démailler[2] les filets afin de les transporter jusqu’à la goélette. Très marins, ils ont l’avantage d’être légers, de s’emboîter les uns dans les autres et de former sur le pont des goélettes une pile aussi peu encombrante que possible. À Shippagan, les chaloupes revenaient toutes les 24 heures, tandis que les goélettes, de plus fort tonnage, pouvaient rester en mer pendant huit jours d’affilée[3]. En ce qui a trait à la pêche à la morue, le doris servait à débarquer l’équipage sur les battures pour recueillir des coques, mollusque utilisé comme « bouette ». En juillet et août, les doris servaient à pêcher au chalut. Il semble y avoir deux types distincts de doris : celui construit sur une sole plus étroite avec un côté plus arrondi, et le doris américain de la Nouvelle-Angleterre, dont la sole est plus large et les côtés droits, à défaut d’être arqués.


En ce qui concerne les grands bateaux à fond plat, chaque propriétaire de goélette en possédait un, surtout pour la pêche au hareng de printemps. Dans le cadre de cette pêche, deux hommes utilisent ce type d’embarcation pour aller démailler les filets, reviennent avec leurs prises à la goélette, puis embarquent dans un autre flatte pour retourner en pêche. L’homme demeurant à la goélette monte à bord du flatte chargé et transborde, au moyen d’une épuisette, le hareng dans la cale de la goélette. Le grand flatte sert également pour débarquer les têtes de morue et autres débris de poisson accumulés durant la semaine. Ce grand flatte à un ou deux pieds de plus que le doris. Malgré qu’il soit fait de la même façon, il est pointu des deux bouts et on dit qu’il est à deux étraves[4].

Faute de quai, la montée de ces genres de bateaux se faisait à l’aide d’un cabestan. Il s’agit plus précisément d’un treuil à arbre vertical attaché au sol, sur lequel s’enroule un câble qui peut développer une force de traction suffisante pour sortir complètement l’embarcation de la mer. Il faut faire tourner cet engin à l’aide d’une longue perche insérée horizontalement dans une mortaise au faîte de l’arbre. En tournant autour de l’arbre tout en tirant cette perche, le câble, attaché à un anneau sur le devant du bateau, s’enroule lentement sur le treuil et le bateau avance progressivement hors de la marée. Le cabestan peut se tourner soit à bras d’hommes ou à cheval.

L’avènement des moteurs à essence


Dans la pêche côtière, à compter du début du 20e siècle, l’arrivée des moteurs à essence eut l’effet d’une véritable révolution. Le métier des pêcheurs change radicalement, car ils n’ont plus à ramer ou à avancer contre le vent et peuvent désormais économiser des forces. Le vent pouvait donner du fil à retordre quand vient le moment de regagner le quai ou la terre ferme. Motorisé, le pêcheur est maître de son temps et l’heure du retour ne lui est plus dictée par les conditions atmosphériques et les vents. Il peut donc élargir son périmètre de pêche, à savoir le rayon d’action de son bateau, ou accroître le nombre de ses casiers à homard. En somme, ses produits sont plus frais. Par calme plat, sans moteur, il faut recourir aux avirons et, comme les charges sont généralement lourdes, la rentrée à terre devient une tâche ardue. D’un autre côté, le moteur joue aussi des tours : la bougie refuse de s’allumer, etc. C’est alors la panne en pleine mer ! Parfois, le moteur cale ce qui fait en sorte que le bateau s’arrête brusquement comme s’il venait de frapper un rocher, bousculant tout à bord. C’est ce qui arrive à Frank Wilson de Miscou, qui s’en tire avec une douche froide. Ne sachant pas nager, c’est son fils qui l’aide à rembarquer à bord. Mais Frank refuse de retourner sur la terre ferme avant d’avoir terminé de mouiller[5] ses casiers à homard[6]. Pour certains, ces bateaux de pêche peuvent également s’appeler « bottes à slide ». Quelques-uns de ces bottes sont parfois munis de moteurs diesels de 16 forces.

À compter de 1910-1912, les petits bateaux de la Péninsule acadienne sont de plus en plus nombreux à être dotés d’un moteur à essence Acadia[7] ou Atlantic. Il s’agit d’un moteur de quatre chevaux-vapeur à un cylindre, que l’oreille reconnaît au son caractéristique « pic-à-poc », monté sur une embarcation de 36 pieds de long et de 10 pieds de large en moyenne. D’après d’anciens pêcheurs, il était possible de distinguer le propriétaire du bateau par le son du moteur. En 1913 à Shippagan, un nombre considérable de bateaux à essence sont en construction pour la pêche au maquereau[8]. D’ailleurs, en 1920, J. S. Noël de Lamèque essaie de vendre un bateau adapté avec voile et engin de dix chevaux-vapeur pour la pêche au maquereau et à la morue[9].


Notes

[1] Perley, M. (1852). Reports on the Sea and River Fisheries of New-Brunswick. J. Simpson, Printer, p. cxxvii.

[2] Enlever le hareng pris dans les mailles du filet.

[3] Landry, N. (1994). Les pêches dans la Péninsule acadienne : 1850 – 1900. Éditions d’Acadie.

[4] Noël, É. (1998). Souvenirs d’un vieux pêcheur. RHSHND, XXVI(3), 37-52

[5] Immerger un casier lesté au fond de la mer.

[6] Témoignage de Frank Wilson, âgé de 93 ans en 1976. Dans Haché, L. (1976). La curieuse histoire de la pêche au homard. RHSHND, IV(3), p. 40.

[7] De la compagnie Acadia Gas Engines de Bridgewater en Nouvelle-Écosse.

[8] L’Évangeline, 19 mars 1913, p. 1.

[9] L’Évangéline, 30 avril 1913, p. 8 et 20 janvier 1920, p. 3.